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Les vraies championnes de la pollinisation sont en danger

Jusqu’ici, on considérait que l’abeille domestique, Apis mellifera, était l’insecte pollinisateur le plus efficace pour les plantes cultivées. Et qu’elle jouait donc un rôle essentiel dans le rendement des cultures à travers le monde.

Une étude publiée le 28 février 2013, dans le très respecté Science Magazine, remet en cause la suprématie de nos petites abeilles à miel dans ce domaine.

Lucas Garibaldi, de l’université de Rio Negro, en Argentine, Alexandra Klein, de l’université de Lüneburg, en Allemagne, et leurs collaborateurs du monde entier, ont étudié l’action des pollinisateurs sur 41 systèmes de cultures dans 600 champs répartis sur les cinq continents.

Les espèces choisies incluaient café, coton, concombre, amande, pastèque, sarrasin, fraise, kiwi, etc., et différentes sortes de graines et de noix couramment cultivées à travers le monde. Et les pratiques culturales employées allaient de la monoculture intensive à l’agriculture traditionnelle.

Dans chaque champ, les biologistes ont évalué la diversité des pollinisateurs – abeilles domestiques, abeilles sauvages, coléoptères, mouches et papillons présents sur les sites – et le nombre de fleurs qu’ils butinaient. Ils ont aussi mesuré la quantité de pollen déposé sur chaque fleur, et la fructification – c’est-à-dire, le nombre de fleurs fécondées qui vont réellement donner un fruit par la suite. Enfin, ils ont analysé l’énorme quantité de données ainsi recueillies.

Résultat :

Plus souvent une fleur est visitée par les pollinisateurs sauvages (essentiellement, par des abeilles sauvages), et plus elle a de chance de produire un fruit et des graines par la suite. Et ce, dans 100% des cas, quel que soit le type de culture étudié.

Ça vous paraît évident ? Et bien ça ne l’est pas :

Curieusement, ce résultat ne tient plus si ce sont les abeilles domestiques qui visitent cette même fleur. Avec les abeilles domestiques, l’augmentation des visites n’entraîne une meilleure fructification que dans 14% des systèmes étudiés !

Encore plus étrange : une fleur visitée par les abeilles sauvages a deux fois plus de chance de donner un fruit que quand elle est visitée uniquement par des abeilles domestiques !

L’étude ne dit pas pourquoi. Mais elle montre une chose extraordinaire : le maximum de fructification n’est atteint que si les fleurs sont visitées à de nombreuses reprises, à la fois par des abeilles domestiques et par des abeilles sauvages ! Harmonieuse nature…

Et maintenant, quelles leçons tirer de ces résultats ?
Tout d’abord, cette étude démolit un mythe : celui des abeilles domestiques comme principal, voire seul pollinisateur de nombreuses cultures.

C’est ce qu’explique Lawrence Harder, professeur de biologie à l’Université de Calgary, au Canada, et co-auteur de l’étude :

« Nous avons observé que le fait de mettre davantage d’abeilles domestiques dans les zones de culture [qui n’étaient pas suffisamment pollinisées] n’était pas suffisant pour régler ce problème qui nécessite un accroissement du nombre des insectes pollinisateurs sauvages ».

Il ne s’agit pas de négliger l’apport des abeilles domestiques. L’étude montre simplement qu’elles complètent, mais ne remplacent pas, le travail de fond mené par les abeilles sauvages – contrairement à ce qu’espèrent souvent les agriculteurs et arboriculteurs lorsqu’ils « prêtent » leurs champs et leurs vergers aux apiculteurs.

Il faut donc une approche globale de leurs problèmes, et protéger également les deux types de populations, en particulier des insecticides.
Ensuite, il est urgent d’agir pour adapter les pratiques agricoles aux conclusions de l’étude de Garibaldi.

« Notre étude démontre que la production d’une grande partie des fruits et de graines avec lesquels nous pouvons nous alimenter de façon très variée, est limitée aujourd’hui parce que les fleurs ne sont pas suffisamment pollinisées », souligne Lawrence Harder.

Paradoxalement, la plupart des approches pour accroître l’efficacité de l’agriculture – comme la mise en culture de toutes les terres disponibles, la disparition des haies, la monoculture, et le recours massif aux pesticides de plus en plus toxiques – réduit l’abondance et la variété des insectes pollinisateurs qui pourraient accroître la production de ces récoltes.

Ces insectes vivent généralement dans des habitats naturels ou semi-naturels, tels que l’orée des forêts, des haies ou des prairies – autant d’habitats qui se raréfient, du fait entre autres de leur conversion en terres agricoles.

Il faut donc rapidement mettre en œuvre de nouvelles approches pour intégrer dans les pratiques agricoles la gestion des abeilles domestiques et des pollinisateurs sauvages – en préservant d’avantage leur habitat par exemple. Les rendements agricoles mondiaux s’en verraient accrus, permettant de promouvoir la production agricole à long terme.

Pour préserver le rendement des cultures, on ne saurait se contenter d’enrayer le déclin des abeilles domestiques : il faut enrayer celui, moins médiatisé mais tout aussi réel, des pollinisateurs sauvages.

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